Remarques sur HLP et quelques suggestions qui font suite aux réunions départementales

, par Valérie Marchand

par Jeanne Szpirglas, IA-IPR de philosophie

BO de l’éducation nationale : numéro spécial n°1 du 22 Janvier 2019
La spécialité « Humanités, littérature et philosophie » apporte à l’élève une culture humaniste, nourrie de la lecture des textes classiques littéraires et philosophiques. En se rapportant aux grands textes patrimoniaux ainsi qu’aux moments constitutifs de l’histoire de la pensée, elle vise essentiellement deux objectifs :
  Contribuer à l’intelligibilité du monde contemporain en rétablissant les filiations, les mises en perspective, les interrogations qui le traversent et en permettent une meilleure compréhension.
  Développer les compétences d’analyse et d’expression exigées par la poursuite d’études et qui figurent explicitement dans les attendus du supérieur. HLP assure une formation intellectuelle appelée par des cursus très divers : les lettres et les sciences humaines mais également les sciences, les arts, le droit, l’économie/gestion, les sciences politiques, la médecine et le paramédical…Les spécialités en effet ne sont pas des spécialisations et la réforme du lycée invite à diversifier les chemins empruntés.

L’esprit du programme

 Pourquoi un programme ?
Le programme indique un objectif national, c’est-à-dire commun à tous les élèves quel que soit le lieu d’enseignement. Par la richesse de son contenu, le programme de la spécialité HLP s’efforce de doter tous les élèves des repères et références qui relevaient d’un patrimoine culturel souvent implicite.
Un programme contraint diversement selon les disciplines. Strictement prescriptif en SES, d’une formulation volontairement économique en faveur de la liberté pédagogique en philosophie, le programme de HLP convie les professeurs à effectuer des choix et à inventer des parcours au sein de corpus très étendus. La bi-disciplinarité implique un renouveau des pratiques encore qu’il ne soit pas d’enseignement disciplinaire qui ne l’appelle en permanence. Les deux changements les plus profonds seront induits par l’articulation effective de la philosophie et de la littérature et par la nouveauté des épreuves, lesquelles commandent souvent les modalités d’enseignement.

 La notion d’humanités
L’intitulé de la spécialité renvoie explicitement aux humanités et le programme à la culture humaniste. Pédagogiquement, les Humanités désignent jusqu’au début du 20ème un agencement des savoirs (latin, grec, lexicologie, rhétorique,etc…) antérieur à notre découpage disciplinaire. Le passage aux humanités modernes correspond à la naissance des disciplines et se traduit par la succession des leçons d’une durée d’une heure. Aujourd’hui les humanités désignent un agencement administratif et institutionnel. Il existe des UFR d’humanités (Lille, Bordeaux), des départements d’Humanités dans les grandes Ecoles d’ingénieurs (Polytechnique, INSA, Mines, UTC…), des licences humanités, qui désignent le regroupement de disciplines littéraires et de sciences humaines. Sans revenir à l’avant des disciplines, ces pôles pluridisciplinaires ont vocation à « distinguer » les enseignements littéraires et des sciences humaines des disciplines scientifiques qui tendent également à se constituer en pôle. La notion d’humanités distingue au sens bourdieusien c’est-à-dire affirme une existence et une excellence face à l’hégémonie scientifique. Elle exprime cette revendication d’excellence des savoirs littéraires, parfois dévalorisés dans le système scolaire en même temps que leur maîtrise est jugée partout indispensable. C’est dans cette logique sans doute, qu’il faut comprendre l’association des lettres et de la philosophie, même si la philosophie s’estime liée aux savoirs scientifiques ; Ainsi cette référence à la tradition humaniste ouvre la possibilité d’une réorganisation et de combinaisons nouvelles des disciplines, une invention fondée sur un héritage, conformément à un topos de l’humanisme. Ce regroupement des savoirs autour du rapport au textes, dans une redéfinition des humanités modernes eut pu inviter le droit, comme discipline du texte et de l’interprétation, et peut-être les sciences humaines plus généralement. Mais le risque qui pèse sur l’identité spécifique des savoirs en eut été accru et HLP constitue dans cette perspective un compromis entre la sauvegarde de l’identité des disciplines littéraires et celle de leur existence même.

 Moment et périodisation

La référence à l’humanisme classique qui renvoie à son tour à l’héritage des humanités gréco-latines, fait de l’historicité une dimension essentielle et récurrente d’une culture humaniste. Toutefois l’ancrage dans des périodes historiques ne saurait réduire HLP à une histoire des idées. La périodisation est certes une approche plus courante en littérature qu’en philosophie, mais les deux disciplines peuvent s’accorder sur la notion de moment c’est-à-dire de périodes de référence définies par l’articulation des deux axes diachronique et synchronique. L’axe diachronique pose l’histoire comme succession et s’intéresse au surgissement, à la genèse des représentations ainsi qu’au champ de plausibilité des concepts , engageant les professeurs dans un travail de contextualisation des textes et des idées. Il situe l’émergence des paradigmes et des grands changements qui ont affecté les représentations du monde : le passage de la représentation d’un monde clos laisse place à l’idée d’un univers infini, l’idée d’un progrès continu se substitue à la vision du monde adossée à la notion de providence chrétienne… Cette dimension historique est évidemment déjà présente en tout enseignement.
Le second axe met en lumière la façon dont des découvertes traversent et réorganisent les champs de savoir. On peut évoquer la révolution copernicienne en astronomie, la pensée du vivant lorsqu’elle croise le développement des automates, ou encore la circulation de la monnaie et la circulation du sang (Harvey) pensées à partir du modèle de l’irrigation. HLP se présente ainsi comme un parcours jalonné de repères qui représentent les grands moments constitutifs de l’histoire intellectuelle et culturelle de l’humanité. Elle s’autorise une libre circulation entre les périodes, qui mette en lumière la façon dont les problèmes se déplacent ou perdurent sous des formes et des formulations différentes. La connaissance historique n’est alors ni objet ni fin, elle est le milieu dans lequel les textes peuvent nous dire quelque chose.
Du reste, le programme n’interdit nullement de travailler à rebours de la chronologie, en partant du temps présent et des questions contemporaines vers les jalons qui les rendent intelligibles sans toutefois accréditer l’idée contestable d’une précursion. S’il s’agit en définitive de rendre le monde contemporain aussi intelligible que possible, une meilleure connaissance de l’histoire des représentations à travers les œuvres, est précisément le moyen de prendre une distance par rapport à l’immédiateté que l’on cherche à éclairer. Le contemporain est donc objet en deux sens : il est ce dont la connaissance est visée et qui fait de tout le reste un moyen ; il est également une période de la réflexion, c’est-à-dire par lui-même un moment. Ce sont alors les grands enjeux contemporains qui invitent à une mise en perspective rétrospective. Il n’y a pas lieu de se demander qui de la période de référence ou de la question contemporaine doit être premier, elles se rejoignent quelque commencement que l’on se donne. La culture historique, sans opposition à la culture du temps présent, permet d’identifier et de comprendre des problèmes nouveaux ou inédits. Tel est le cas par exemple de la question de l’animal profondément renouvelée ces vingt dernières années. Cette importance donnée au contemporain invite à ne pas penser la spécialité comme le lieu d’une résistance de la culture classique face à son effondrement prétendu. Elle n’est pas restauration mais invite à comprendre la culture comme mélange du patrimonial et d’une nouveauté stimulante et déroutante, une culture ouverte, mixte par principe, comme elle le fut toujours, lorsque Rabelais, modèle de sous-culture du 17ème, devient une référence classique ou quand le populaire est élément du chef d’œuvre, chez Brahms ou Berio qui intègrent le folklore à leurs compositions. L’art contemporain se donne volontiers comme l’expression de ce dépassement de la hiérarchisation esthétique. Et nous sommes d’autant plus évidemment sortis de cette opposition entre une culture classique vénérée et ignorée, et une culture populaire illégitime, que nous nous connaissons nous-mêmes comme des produits de cette mixité.
Certes ce rapport au monde contemporain est parfois difficile pour la littérature et philosophie qui ne sont pas indexées aux grands problèmes contemporains d’une façon aussi structurelle que les sciences. La culture littéraire et philosophique s’efforce d’offrir une expérience et une réflexion soustraites aux contraintes du monde moderne, un pas de côté au regard d’une adaptation immédiate à l’utile. Toutefois, considérer les élèves pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’on voudrait qu’ils soient, et le monde dans lequel ils vivent comme digne d’être pensé, ne saurait les y asservir.

 HLP et la culture générale

La spécialité HLP n’est un enseignement de culture générale mais il en participe. La culture générale fut longtemps conçue comme un outil de sélection au service de la reproduction de la classe dominante selon un vocabulaire marxiste puis bourdieusien. Or, tandis que les épreuves actuelles tendent presque toujours à tester la culture générale du candidat telle qu’elle se manifeste dans l’expression et l’acuité de lecture, HLP délivre sur un mode explicite et objectif les prérequis de la réussite scolaire. Elle donne ce qu’il n’est pas permis d’ignorer et par là, est instrument de formation, non de sélection. La périodisation ou la détermination de moments structure la conscience historique et assure des liens inexistants dans la culture « en miettes » des élèves et des étudiants. HLP partage avec la culture générale la volonté d’ouvrir un dialogue entre les cultures conformément à la démarche humaniste mais elle assume de constituer une culture particulière, comme l’est en réalité toute culture « générale », et décourage d’accumuler des connaissances dans une perspective illusoire d’exhaustivité. Les thèmes du programme déterminent a priori le choix des moments hautement signifiants. A la différence de la culture générale, HLP ne prétend pas s’affranchir du jugement des experts, dépasser les limites constitutives des disciplines, elle n’est donc pas in-discipline, aussi séduisant que nous ressentions la proposition, mais exprime l’unité de l’esprit en des démarches clairement identifiées comme distinctes. Par-là, elle rejoint une ambition de la culture générale, favoriser la création de liens entre des textes, des idées, des savoirs a priori disjoints, et par cette capacité de liaison et d’association, devenir une source de la créativité.

 La question de l’homme

L’humanisme désigne un rapport au savoir, un rapport entre les hommes un rapport de l’homme à lui-même. La reconnaissance et la mise en question de l’humanité traversent en première, le thème de la place de l’homme dans l’univers et parmi les espèces. En terminale, la question de l’homme et de l’humanité est posée en référence à ce qui fait l’homme ou plus exactement, à ce que doit faire l’homme pour être homme (en référence notamment à l’inhumanité). Cette interrogation sur l’homme conduit naturellement à saisir que l’homme se fait homme dans ce qu’il fait, et à restaurer la correspondance entre la culture, la pensée et l’action qui est cœur de la paideia isocratique : « bien dire, bien penser, bien agir ». Dès lors les Humanités se définiraient par leur finalité autant que par leur contenu. On avait jadis cet espoir que les humanités humanisent. S’il n’est pas certain que nous soyons prêts à reprendre ce projet tant l’histoire nous contraint à dépouiller cette aspiration de sa naïveté, nous devons reconnaître que toute instruction est simultanément une éducation. Ainsi, les humanités classiques reposaient sur l’apprentissage par cœur et la restitution du savoir selon une pédagogie du modèle et de l’obéissance. Désormais en toutes disciplines, nous jugeons essentiel de poser des problèmes et de prendre une distance critique à l’égard des contenus. Et c’est de cette façon de se rapporter au savoir que nous attendons une certaine façon d’être ou de devenir homme. Réciproquement, analyser les textes et les discours exige logiquement que l’on fasse droit à la parole des élèves.

La bi-disciplinarité

L’enseignement HLP est une approche nouvelle précisément par l’association de deux disciplines qui, pour reprendre la formulation d’une collègue « « ne parlent pas la même langue mais sont capables de s’entendre ». Sans aller à une exagération de la spécificité des démarches qui manifesterait essentiellement la crainte de chacune de voir son identité menacée, ou, plus inattendu, d’avoir finalement quelques difficultés à la définir, on peut rapprocher la littérature et la philosophie par le rapport aux textes. La philosophie n’est aucunement indifférente à l’expression, au style, aux stratégies d’écriture ; et la littérature s’intéresse techniquement aux formes d’expression afin d’en déterminer le sens et les effets. Ainsi la bi-disciplinarité présente cette vertu de rendre immédiatement caduques les représentations caricaturales et réductrices qui peuvent entraver dans les établissements le travail en commun. Philosophie et littérature partagent l’intérêt pour le langage comme objet et comme instrument, la relation aux textes et l’intertextualité, la contextualisation qui aide à leur intelligibilité, la démarche d’interrogation quoique par des entrées différentes, la valorisation d’une structuration du propos. Mais chacune de ces convergences contient un principe de différence : par exemple le contexte historique à travers la notion de mouvement n’a pas d’équivalent dans l’approche volontiers plus anhistorique de la philosophie. Par le repérage des images, des procédés d’argumentation, la thèse apparaît comme « aboutissement » de la lecture littéraire, tandis que la philosophie privilégie une entrée par le problème dans la perspective d’une définition des concepts. C’est par cette différenciation fine au sein des enseignements et par les exercices, que les élèves seront conduits à identifier et distinguer progressivement les démarches respectives des deux disciplines.

Typologie des approches

 Rythme de l’année
Chaque semestre représente 36 h par discipline et par thème, et on peut décomposer en 3x12h ou 2x18h ou construire une grande séquence en faisant apparaître, par des articulations explicites et structurées, les axes subordonnés. Il peut être bénéfique de scander le travail de l’année selon l’approche des objets d’étude, le cas échéant construits autour de projets. Dans tous les cas, cet enseignement bi-disciplinaire demande une concertation effective et autant que possible quelques manifestations concrètes de cette coopération à travers des séances en co-animation. Ne pas hésiter à suggérer dans les établissements l’intérêt pédagogique de quelques heures de concertation sur l’année.

1) L’entrée par le texte
On peut imaginer débuter la concertation par un travail sur la bibliographie et déterminer un texte/œuvre commun faisant l’objet des deux approches distinctes ou de textes qui sont choisis en fonction de leur effet de résonance : par exemple confronter des extraits d’Homère à des textes de Platon.
Question : faut-il préférer un ensemble de textes courts à l’étude d’une œuvre ? La diversité des textes peut sembler ennuyeuse aux élèves mais le souci d’éviter la collection peut conduire à privilégier le travail approfondi sur un nombre de textes limité. Sans se restreindre à un seul auteur, le corpus pourrait être constitué de fragments d’une même œuvre et construire un réseau de correspondances, de textes, l’éclairant, le discutant, le commentant, lui faisant écho…Ce pourrait être aussi un « corpus tremplin », soit un corpus succinct qui donne à la réflexion son point de départ.

2) Une question commune, des textes distincts. Travailler à partir d’un axe que chaque discipline explore et problématise.

3) Une entrée commune par une œuvre d’art
Cf la présentation aux élèves de seconde en fin de document.
Travail à partir théâtre, du cinéma et de la peinture.
exemple :
la parole, sur le barreau et la justice (l’idéaliste de Coppola, douze hommes en colère, l’Avocat du diable, l’avocat des damnés, la firme, un monde sans pitié...).

4) L’entrée par le travail sur l’expression
La langue : réflexions sur les expressions, l’étymologie……
passage par l’écriture. Cette approche permet d’identifier les compétences requises par les deux disciplines.

 Le travail de l’oral
Du texte à l’oralité.
Appropriation du discours, des codes de la rhétorique classique par l’exercice. Il est possible d’initier les élèves à la joute oratoire et aux concours d’éloquence actuellement très prisés. Mais on se gardera de l’engouement très excessif que suscite l’éloquence dont les effets sont parfois très contreproductifs quand les élèves confondent éloquence et grandiloquence. Il est possible qu’il faille aller à rebours de cet engouement pour refonder l’éloquence sur la maîtrise du contenu.
Une part significative du travail concerne l’oral – cela en perspective du « grand entretien » lors des épreuves finales du baccalauréat, en classe terminale.

Épreuve

Cet enseignement nouveau sera validé par une épreuve également nouvelle, par sa forme et une durée qui passe de 2h en première à 4h en terminale. Elle consiste en deux questions portant sur un texte en lien à l’un des thèmes du programme et choisi dans la période de référence : une question d’interprétation et une question de réflexion, explicitement distribuées selon la nature du texte entre philosophie et littérature (soit une question d’interprétation littéraire jointe à une question de ré-flexion philosophique, soit l’inverse). Si l’explication de texte diffère seulement par la durée de l’épreuve en vigueur en philosophie et sans méconnaître ce qu’un changement quantitatif induit qualitativement, l’essai est véritablement un exercice nouveau dont les attendus n’ont pas été définis encore. Les discussions qu’il initie reconduisent pour partie celles qui portent sur les vertus de l’explicitation et de la formalisation. Faut-il se donner des critères formels qui puissent garantir l’objectivité de l’évaluation et se faisant éviter l’écueil d’un implicite à l’avantage des plus favorisés ? Ou bien, dans une légitime défiance à l’égard de l’idéal d’objectivité, convient-il de distinguer formalisation et explicitation au profit de la seconde ? L’essai ne ferait pas difficulté en raison de son indétermination formelle mais apparaîtrait comme le moyen de mettre à distance les pratiques opératoires en s’interrogeant sur la démarche philosophique comme telle. Il restera également à déterminer l’incidence des sujets de l’épreuve sur l’enseignement, et la progressivité des épreuves sur les deux niveaux.

Exemple :
Texte à caractère littéraire avec un intérêt philosophique : Montesquieu, extrait des Lettres persanes.
1) De quel procédé ce texte use-t-il et en vue de quelle morale ?
2) Dans quelle mesure la curiosité dont il s’agit ici est-il un intérêt pour l’autre ?

La notation
L’épreuve est notée sur 20 et chacune des questions, notée sur 10, est corrigée par les professeurs des deux disciplines. Il s’agit donc d’une correction partagée qui supposera une entente entre les professeurs de lettres et de philosophie.

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